Du racisme ordinaire
Ce sont des histoires d’une injustice criante, et qui pourtant sont monnaie courante. Que ces jeunes femmes et hommes laissant leur famille très loin à la recherche du savoir subissent une discrimination indescriptible. Que ces étudiants soient otages, opprimés, humiliés, torturés, déshumanisés. Qu’ils connaissent une solitude profonde, un traumatisme, une blessure laissant des séquelles irréversibles… Oui, qu’ils aient connu une tempête dévastatrice, un ouragan infernal. Mais sous cette couche de braise, sous ce tas de décombres, une flamme brûle, un esprit demeure pour exprimer son ras-le-bol.
Que ça arrive parfois de se retrouver au mauvais endroit au mauvais moment. Hier après-midi, je me suis retrouvé par hasard à Ariana, un quartier pauvre de la banlieue de Tunis. Il se situe au milieu d’une vaste plaine bordée par les plages de Raoued et de Gammarth, par la ville de Carthage et par la colline de Sidi Bou Saïd. J’ai fait la visite de tout le quartier et j’ai eu mal au cœur. Il y régnait une atmosphère lugubre. En cet après-midi, le quartier est bondé de monde.Je dois affronter les regards de ces jeunes qui ne peuvent s’empêcher de fixer ma petite tête de black et les petits commentaires qui vont avec. Ça craint des chômeurs, délinquants, mendiants… Mais là, je ne sais pas. Je me sentais bien, j’étais confiant. Quand je suis arrivé derrière la mosquée un homme a surgi de nulle part, et m’a attrapé par-derrière, finalement, plus de peur que de mal. C’était juste un mendiant. Il quémande une pitance. Je lui tends une pièce de deux dinars que je sors du fond de ma poche. Je m’attendais ensuite à un warhem waildeik (que Dieu bénisse tes parents) comme c’est l’habitude ici. Sauf que j’ai eu droit à un guéra.
Je me posais des questions comme vous aussi sur ce mot étrange. J’ai pris le chemin de la maison, un peu à la bourre, mais sur mes gardes, juste un peu moins que d’habitude. Après consultation, j’ai appris que guéra dans le langage populaire tunisien veut dire : singe. Voilà comment à la place d’une bénédiction, j’ai reçu une moquerie, une insulte raciste. Il faut préciser que mes amis m’ont appris très tôt à être prudent, voire méfiant, m’expliquant sur quel danger je pouvais tomber dans certains quartiers. De nombreux faits et propos, ancrés dans la culture tunisienne, témoignent d’une véritable discrimination à l’encontre des Subsahariens, principalement étudiants. Ces agissements proviennent le plus souvent d’une forte méconnaissance et de préjugés véhiculés par les médias. Tout y passe. Changements de place de métro lorsqu’un Subsaharien s’assoit à côté d’eux, refus de tenir la même barre qu’un Noir dans le bus, versement d’un seau d’eau depuis un immeuble lorsque l’un d’eux passe dans la rue, jets de pierres… Plusieurs amis m’avaient décrit les mêmes faits. Il suffit de recenser les attributs peu sympathiques dont sont affublés ces étudiants pour prendre conscience du malaise. Obstacles administratifs, persécutions, brutalités, interpellations musclées et disproportionnées, discriminations, racisme ambiant…la liste des maux dont sont victimes les étudiants est longue et insupportable.
Autant vous dire, voilà comment j’ai reçu mon premier guéra. Mais ce qui m’attriste, c’est que ce n’est pas la première fois que je vis un truc pareil, et que ce ne sera sûrement pas la dernière. Dans mon entourage, j’entends chaque semaine une nouvelle histoire semblable.
Finalement, y a rien d’extraordinaire, rien de nouveau, rien de surprenant à tout ça. Ça ne m’étonne pas, ça n’étonne pas grand monde d’ailleurs, et ça fait partie des galères du quotidien, et c’est bien ce qui me donne l’amertume.
J’en ai ma claque que notre existence soit ponctuée d’évènements de ce genre en ce siècle. J’en ai marre de me méfier, j’en ai marre de répondre “ouais, on fait avec”, j’en ai marre de devoir marcher avec de la musique à fond dans les oreilles pour éviter d’entendre les remarques de tous ces gens qui ouvrent leur gueule quand je marche dans la rue.
Ça me gonfle
J’me tire.
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