Du racisme ordinaire

10 avril 2014

Du racisme ordinaire

Crédit: Wikipédia
Crédit : Wikipédia

Ce sont des histoires d’une injustice criante, et qui pourtant sont monnaie courante. Que ces jeunes femmes et hommes laissant leur famille très loin à la recherche du savoir subissent une discrimination indescriptible. Que ces étudiants soient otages, opprimés, humiliés, torturés, déshumanisés. Qu’ils connaissent une solitude profonde, un traumatisme, une blessure laissant des séquelles irréversibles… Oui, qu’ils aient connu une tempête dévastatrice, un ouragan infernal. Mais sous cette couche de braise, sous ce tas de décombres, une flamme brûle, un esprit demeure pour exprimer son ras-le-bol.

 

Que ça arrive parfois de se retrouver au mauvais endroit au mauvais moment. Hier après-midi, je me suis retrouvé par hasard à Ariana, un quartier pauvre de la banlieue de  Tunis. Il  se situe au milieu d’une vaste plaine bordée par les plages de Raoued et de Gammarth, par la ville de Carthage et par la colline de Sidi Bou Saïd. J’ai fait la visite de tout le quartier et j’ai eu mal au cœur. Il y régnait une atmosphère lugubre. En cet après-midi, le quartier est bondé de monde.Je dois affronter les regards de ces jeunes qui ne peuvent s’empêcher de fixer ma petite tête de black et les petits commentaires qui vont avec. Ça craint des chômeurs, délinquants, mendiants…  Mais là, je ne sais pas. Je me sentais bien, j’étais confiant. Quand je suis arrivé derrière la mosquée un homme a surgi de nulle part, et m’a attrapé par-derrière, finalement, plus de peur que de mal. C’était juste un mendiant. Il quémande une pitance. Je lui tends une pièce de deux dinars que je sors du fond de ma poche. Je m’attendais ensuite à un warhem waildeik (que Dieu bénisse tes parents) comme c’est l’habitude ici. Sauf que j’ai eu droit à un guéra.

Je me posais des questions comme vous aussi sur ce mot étrange. J’ai pris le chemin de la maison, un peu à la bourre, mais sur mes gardes, juste un peu moins que d’habitude. Après consultation, j’ai appris que guéra  dans le langage populaire tunisien veut dire : singe. Voilà comment à la place d’une bénédiction, j’ai reçu une moquerie, une insulte raciste. Il faut préciser que mes amis m’ont appris très tôt à être prudent, voire méfiant, m’expliquant sur quel danger je pouvais tomber dans certains quartiers. De nombreux faits et propos, ancrés dans la culture tunisienne, témoignent d’une véritable discrimination à l’encontre des Subsahariens, principalement étudiants. Ces agissements proviennent le plus souvent d’une forte méconnaissance et de préjugés véhiculés par les médias. Tout y passe. Changements de place de métro lorsqu’un  Subsaharien s’assoit à côté d’eux, refus de tenir la même barre qu’un Noir dans le bus, versement d’un seau d’eau depuis un immeuble lorsque l’un d’eux passe dans la rue, jets de pierres… Plusieurs amis m’avaient décrit les mêmes faits. Il suffit de recenser les attributs peu sympathiques dont sont affublés ces étudiants  pour prendre conscience du malaise. Obstacles administratifs, persécutions, brutalités, interpellations musclées et disproportionnées, discriminations, racisme ambiant…la liste des maux dont sont victimes les étudiants  est longue et insupportable.

Autant vous dire, voilà comment j’ai reçu mon premier guéra. Mais ce qui m’attriste, c’est que ce n’est pas la première fois que je vis un truc pareil, et que ce ne sera sûrement pas la dernière. Dans mon entourage, j’entends chaque semaine une nouvelle histoire semblable.

Finalement, y a rien d’extraordinaire, rien de nouveau, rien de surprenant à tout ça. Ça ne m’étonne pas, ça n’étonne pas grand monde d’ailleurs, et ça fait partie des galères du quotidien, et c’est bien ce qui me donne l’amertume.

J’en ai ma claque que notre existence soit ponctuée d’évènements de ce genre en ce siècle. J’en ai marre de me méfier, j’en ai marre de répondre “ouais, on fait avec”, j’en ai marre de devoir marcher avec de la musique à fond dans les oreilles pour éviter d’entendre les remarques de tous ces gens qui ouvrent leur gueule quand je marche dans la rue.

Ça me gonfle

J’me tire.

 

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Commentaires

DEBELLAHI
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"...j’en ai marre de devoir marcher avec de la musique à fond dans les oreilles pour éviter d’entendre les remarques de tous ces gens qui ouvrent leur gueule quand je marche dans la rue".

Ce paragraphe de votre beau billet,résume toute l'amertume (à défaut de révolte) qu'on peut et doit ressentir devant ce genre de comportements. On pensait que le racisme était derrière nous. Mais là, il est bien devant nous. J'ai ces témoignages se multiplier ces derniers temps à partir des pays du Maghreb (Maroc, Tunisie, Algérie). Paradoxalement, les maghrébins se plaignent des comportements discriminatoires à leur égard de la part des européens. Mais, les israéliens ne sont-ils pas en train de faire souffrir les palestiniens, comme s'ils n'avaient pas subis, eux-même l'holocauste ? Le racisme est un comportement maladif. Mais, il demeure (et demeurera) marginal. Il faut éviter de généraliser à partir d'agissements d'individus excentriques, de vrais "guéra"..

DEBELLAHI
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Il fut lire "J'ai vu ces témoignages..."

Abdallah Azibert
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C'est plutôt l'expression de mon ras-le-bol quand à cette mauvaise habitude . Et bien sûr qu'il ne faut pas généraliser. Le racisme ici ne vient pas de l'ordre supérieur des politiques. Mais c'est le fruit de l’ignorance et l’analphabétisme de certaine personnes pour ne pas dire la classes pauvre. Et c'est (malheureusement) un peu pareil partout.

bouba68
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vraiment triste!beau billet et c'est vraiment à desesperer du Magrheb principalement de la Tunisie!

Rijaniaina
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Ah bon Abdallah, t'es à Tunis maintenant. Cool!

Vivement ce témoignage, le racisme existe et persiste mais ça finira par s'estamper avec les échanges culturelles et surtout l'éducation. Le racisme existe même entre subsahariens, entre les insulaires de l'Océan Indien comme nous et les continentaux ...

Abdallah Azibert
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Le racisme n'a pas de couleur, de religion ni d'origine.Finalement Rija, il est partout; des fois même au sein d'une famille.

DEBELLAHI
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Mon cher, je reviens à la charge. Mais, cette fois-ci, pour te recommander, dans le même cadre,ce lien: https://www.cridem.org/C_Info.php?article=655078

Abdallah Azibert
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Merci Abdeljelil pour le lien, et très bonne remarque.C'est en général dans dans les pays arabe, le mot "afarikha" désigne les personnes de couleur. Pour ce qui est des maghrébins, si "nationalité africaine" il en existe, qu'ils sachent qu'ils sont encore en Afrique.

naoumane
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Tiens bon frère Mondoblog! On est dans la même corbeille, j'ai vécu la même histoire ici en Egypte. Sauf que le mendigot était un peu "clément" avec moi en disant ari: "Shukran ya Samara!" qui veut dire "merci négro!" après lui avoir filé une livre. C'est le quotidien par ici, "Samara" est le putain de blase qu'on nous colle à jamais. Mais bon on vit avec!!!

Abdallah Azibert
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Vivement cher frère.

sarah
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Le racisme est partout. Tu es dans un pays étranger,c'est pourquoi leur racisme te saute au yeux. Mais si tu était chez toi,ça prendrait moins d'importance parce que tu ne seras plus à la place de victime. Alors,fait en sorte que ce qui te martyrise ne devient pas ton moteur.

lisa
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Salam
✔ «Qu'un homme blanc se moque d'un homme noir à cause de sa couleur de peau ou vice versa, signifie se moquer d'Allah qui les a créés.»
[ Al Albani ] ◆

Ne répond pas aux insultes elles ne rabaissent que ceux qui les ont proférées. regarde d'où ça vient ..ça vient de très bas et ne peuvent donc t'atteindre mon frère . Et tu sais que les épreuves te sont envoyées pour que tu les relèves de la bonne façons..je sais que ce n est pas facile , mais remercie celui qui t 'insulte grace à lui à toi les hassanats inchallah le paradis

Barak Allah oufik Khoya et qu Allah nous donne la patience