Kechiche et la palme d’Ennahda
Il y a de cela quelques semaines, sur ce blog j’écrivais un article sur les films africains en compétition au Festival de Cannes. Ainsi, et c’était avec une attention particulière pour « Grisgris » du réalisateur tchadien Mahamat Saleh Haroun et dont je profite pour saluer le remarquable travail et l’indéfectible courage qui lui sont reconnus.
Cette fois-ci, et actualité m’oblige, je reviens sur « La vie d’Adèle » du franco-tunisien Abdelatif Kechiche puisqu’il a remporté la prestigieuse palme d’or. « La vie d’Adèle » retrace l’histoire lesbienne dans ce qu’elle a de plus intime. Un sujet brûlant, d’actualité et magnifiquement porté à l’écran. A en croire que l’amour entre deux femmes était à l’honneur de la 66ème édition du Festival de Cannes.
Puissant, magistral, énorme et choc émotionnel, le dernier film d’Abdelatif Kechiche a reçu un tonnerre d’applaudissement lors de sa présentation. Drame amoureux d’une rare intensité, c’est aussi un film politique qui pose les rapports des classes, les mœurs, la différence et le regard des autres à travers cette histoire. Mais à l’épreuve du réel s’ajoute aussi chez Kechiche l’universalité d’une histoire d’amour. Une histoire d’amour entre deux femmes, filmé par un homme et de manière très explicite. Rarement on a filmé des scènes de sexe avec autant d’intensité et de réalisme, mais dont je ne peux ignorer sa portée politique. Le mérite de « La vie d’Adèle » ne tient pas du fait qu’il retrace les émois de deux femmes. Au contraire, il sort du lot car c’est un chant d’innocence, et d’expérience. Dans un monde parfait auquel on peut espérer qu’il nous rapproche. C’est ainsi qu’il aurait été perçu. Un long métrage quelque peu indigeste mais réalisé avec beaucoup de soin sur l’amour et les préoccupations à l’adolescence.
De tous ces éloges, ce film est loin de faire l’unanimité en Tunisie, pays d’origine du réalisateur. Au pays d’Ennahda, l’homosexualité reste un tabou marginal et presque inexistant. Spielberg a plongé les responsables d’Ennahda dans un embarra total. Le ministre tunisien de la Culture tout en félicitant du prix évoque un « film particulier qui peut susciter des réserves chez une partie des tunisiens ». En tout cas, tout laisse présager que ce film pourtant couronné serait accueilli avec froideur par bon nombre des cinéphiles et fervent défenseurs des sacro-saintes valeurs conservatrices Ennahdistes. Je me demande parfois si Kechiche ne s’est pas auto censuré par le thème traité dans son film. On se souvient tous de « Persepolis », le film franco-iranien qui représentait Dieu et les déchaînements qui s’en ont suivi dans une Tunisie nouvelle, celle des salafistes.
A l’heure où les avis divergent entre gène et fierté, la beauté du film fera-t-elle oublier aux supporters le sujet osé d’un amour lesbien ? Rien n’est moins sûr. C’est vrai, le film a très peu de chance d’être diffusé en Tunisie. Mais dans le cas d’une éventuelle sortie de « La vie d’Adèle » dans les salles tunisiennes pourrait-elle faire craindre un nouveau « Persepolis » ? Les jours à venir seront déterminants.
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