Kechiche et la palme d’Ennahda

31 mai 2013

Kechiche et la palme d’Ennahda

Abdellatif Kechiche avec ses actrices Léa Seydoux (à gauche) et Adèle Exarchopoulos lors de la remise de la Palme d’or 2013 au Festival de Cannes.
Abdellatif Kechiche avec ses actrices Léa Seydoux (à gauche) et Adèle Exarchopoulos lors de la remise de la Palme d’or 2013 au Festival de Cannes.

Il y a de cela quelques semaines, sur ce blog j’écrivais un article sur les films africains en compétition au Festival de Cannes. Ainsi, et c’était avec une attention particulière pour « Grisgris » du réalisateur tchadien Mahamat Saleh Haroun et dont je profite pour saluer le remarquable travail et l’indéfectible courage qui lui sont reconnus.

Cette fois-ci, et actualité m’oblige, je reviens sur « La vie d’Adèle » du franco-tunisien Abdelatif Kechiche puisqu’il a remporté la prestigieuse palme d’or. « La vie d’Adèle » retrace l’histoire lesbienne dans ce qu’elle a de plus intime. Un sujet brûlant, d’actualité et magnifiquement porté à l’écran. A en croire que l’amour entre deux femmes était à l’honneur de la 66ème édition du Festival de Cannes.

Puissant, magistral, énorme et choc émotionnel, le dernier film d’Abdelatif Kechiche a reçu un tonnerre d’applaudissement lors de sa présentation. Drame amoureux d’une rare intensité, c’est aussi un film politique qui pose les rapports des classes, les mœurs, la différence et le regard des autres à travers cette histoire. Mais à l’épreuve du réel s’ajoute aussi chez Kechiche l’universalité d’une histoire d’amour. Une histoire d’amour entre deux femmes, filmé par un  homme et de manière très explicite. Rarement on a filmé des scènes de sexe avec autant d’intensité et de réalisme, mais dont je ne peux ignorer sa portée politique. Le mérite de « La vie d’Adèle » ne tient pas du fait qu’il retrace les émois de deux femmes. Au contraire, il sort du lot car c’est un chant d’innocence, et d’expérience. Dans un monde parfait auquel on peut espérer qu’il nous rapproche. C’est ainsi qu’il aurait été perçu. Un long métrage quelque peu indigeste mais réalisé avec beaucoup de soin sur l’amour et les préoccupations à l’adolescence.

De tous ces éloges, ce film est loin de faire l’unanimité en Tunisie, pays d’origine du réalisateur. Au pays d’Ennahda, l’homosexualité reste un tabou marginal et presque inexistant. Spielberg a plongé les responsables d’Ennahda dans un embarra total. Le ministre tunisien de la Culture tout en félicitant du prix évoque un « film particulier qui peut susciter des réserves chez une partie des tunisiens ». En tout cas, tout laisse présager que ce film pourtant couronné serait accueilli avec froideur par bon nombre des cinéphiles et fervent défenseurs des sacro-saintes valeurs conservatrices Ennahdistes. Je me demande parfois si Kechiche ne s’est pas auto censuré par le thème traité dans son film. On se souvient tous de « Persepolis », le film franco-iranien qui représentait Dieu et les déchaînements qui s’en ont suivi dans une Tunisie nouvelle, celle des salafistes.

A l’heure où les avis divergent entre gène et fierté, la beauté du film fera-t-elle oublier aux supporters le sujet osé d’un amour lesbien ? Rien n’est moins sûr. C’est vrai, le film a très peu de chance d’être diffusé en Tunisie. Mais dans le cas d’une éventuelle sortie de « La vie d’Adèle » dans les salles tunisiennes pourrait-elle faire craindre un nouveau « Persepolis » ? Les jours à venir seront déterminants.

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Commentaires

josianekouagheu
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Tu sais en lisant ce billet, j'écoute les manifestants contre le mariage pour tous. J'ai eu la chance de suivre en direct, la retransmission de la soirée de clôture du festival et j'ai bien suivi Stephen Spleiberg, le président du jury. Il a bien dit que cette récompense n'était pas politique. Le film du franco-tunisien a le mérite de décrire une société bouleversée. Mais, doit-on confondre ce film avec la réalité?

Abdallah Azibert
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Quand je vois la polemique qu'avait cree canal+ apres la recompense de Kechiche, je me demande si certains ignorent la realite pour s'engoufrer dans leurs passions. Spielberg a tout simplement rendu une sage decision.

Pascaline
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Le maître mot de Kechiche est la provocation et il l'a souvent été. C'était le cas dans "L'esquive", où certains lui reprochaient un language de banlieux désagréable aux oreilles. Et j'ai été encore plus dérangée en regardant "La venus noire", avec des scènes d'exhibition et de sexe que j'ai trouvée très (trop?) osées, jusqu'à rendre le public inconfortable. Mais je pense que c'est son choix délibéré d'artiste de vouloir déranger, interpeller, choquer. Et les films primés en ce moment sont dans cette mouvance. Il n'y a qu'a regarder l'insoutenable "Amour", primé aux oscars, qui nous donnent pourtant envie de sortir de la salle en courant à tout moment. Peut-être que c'est le genre de film que l'on déteste au premier visionnage, et que l'on arrive à trouver bon avec le recul.

Abdallah Azibert
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Oui en fait nous en tant que spectateurs avons une vision et eux (membres du jury) ont aussi leur vision qui parfois peut nous PARAITRE incompréhensible.