Abdallah Azibert

Au Tchad, du Pétrole Bucket Challenge

Un homme relevant le défi Cc commons.wikimedia.org
Un homme relevant le défi
Cc :commons.wikimedia.org

 

Pour être né et grandi dans une des régions les pauvres de la planète, mais aussi chaude et aride. Une région qui sème l’harmattan, récolte des tempêtes de sable, en proie à la sècheresse et à une désertification qui connait une progression inexorable, en bon sahélien je ne doute point de la valeur qu’a l’eau pour la population dans cette zone. Au Sahel, on a appris à vivre avec l’essentiel. Ici, la vie des hommes et de leurs bêtes dépend des points d’eau disponibles. La quantité d’eau principalement peu importe la qualité.

Il y a de cela quelques jours, je tombais sur un drôle de jeux devenu une campagne virale sur les réseaux sociaux : le ALS IceBucket Challenge. Au départ, notamment suite à la participation de Mark Zuckerberg, Bill Gates ou Larry Page je me suis dit : tiens, encore un jeu de bourgeois. Le principe consiste au geste de renverser ou se faire renverser un sceau d’eau glacée sur la tête. Ensuite, lancer le défi en invitant un ou plusieurs amis à reproduire le geste. A défaut de se prêter à ce jeu, la personne doit faire un don à une association caritative

Au fur et à mesure les vidéos de ce jeu de défi pour la bonne cause nourrissent les réseaux sociaux et s’exportent à travers le monde entier. Des hommes politiques, et particuliers se sont mis au défi. Et on ne compte plus les acteurs, pop stars, ou reines de la mode trempés. Ou peut-être même F.Hollande avec son discours sous la pluie. Qui sait.

Alors, ce qui était un jeu avec un objectif caritatif est devenu le phénomène viral le plus important de cet été. Et comme souvent dans ces genres d’exercices, le buzz a provoqué plusieurs faits divers. Par exemple, le challenge a mal tourné pour quatre pompiers aidant des étudiants à réaliser un Ice Bucket Challenge en les arrosant d’eau sur un terrain de sport de l’université aux Etats-Unis. Ou encore le défi démesuré de ce Belge qui se trouve actuellement dans le coma après avoir été assommé par 1500 litres d’eau à partir d’un hydravion.

Donnez d’eau, au lieu de gaspiller

Alors, ceci a titillé ma curiosité. J’ai donc regardé sur internet une dizaine de vidéos du fameux jeu. C’est là que mes souvenirs d’enfant du Sahel me précisent exactement que le jeu a pris un tournant diffèrent. Déjà, je ne suis pas un fan de ces genres de jeux à défi. Ensuite,on peut se poser la question : combien de litres d’eau de surcroit potables (et même glacés !) ont été gaspillés ?

L’eau peut être précieuse dans certains endroits du globe. Pour avoir vu comment les enfants parcouraient de dizaines de kilomètres pour trouver un puit, l’effort, la souffrance et le courage pour puiser, les éleveurs qui doivent parcourir des kilomètres dans le sable pour faire paître leurs troupeaux, tout le monde n’a pas cette chance de faire du Ice Bucket Challence .

Une journaliste indienne a ainsi décidé de reprendre le concept en l’adaptant à la réalité locale qu’elle a appelé le Rice Bucket Challenge. Au lieu de se mouiller avec l’eau glacée, plutôt donner du riz à une personne qui en a besoin. Les palestiniens de Gaza qui viennent de sortir de 50 jours d’une guerre meurtrière n’ont ni eau ni riz. Alors ils ont créé le Rubble Bucket Challenge. Il ne reste que les gravats de leurs maisons détruites qu’ils se versent sur la tête en s’adaptant au concept. Pas très drôle.

En Afrique, une douche contre Ebola

En Afrique, la blogeuse ivoirienne Edith Brou a initié le #MousserContreEbola. Dans cette version, il s’agit de se renverser un seau d’eau mousseuse sur la tête. Une manière de rappeler que la lutte contre le virus Ebola passe d’abord par une bonne hygiène corporelle.


 Au Tchad, de la nourriture contre le pétrole. 

 

Je pense qu’il est plus utile de nourrir les gens et leurs donner à boire, avant de se verser l’eau sur la tête. Dans ce pays producteur du pétrole, mais un des plus pauvres de la planète, et dont la capitale est classée comme étant la deuxième ville la plus chère du monde, on ne peut parler de Ice Bucket Challenge. Ici, les gens cherchent à manger à leur faim, à boire pour leur soif. De toutes les façons, on ne peut se permettre le luxe de verser l’eau glacée sur la tête avec ce 40 degré sous l’ombre. Une bouteille d’eau coûte plus chère qu’un litre d’essence. Alors si on devrait s’y mettre, ça sera naturellement du Pétrole Bucket Challence, en partant du fait qu’on a n’a ni eau ni riz en quantité pour en faire un jeu avec. Vu qu’on ne peut pas boire le pétrole, et que tout le monde ne dispose pas de 4×4 pour y mettre le Gasoil, on ne peut  s’amuser qu’avec ça. Mais attention le pétrole lui est inflammable. Alors, dans cette version, (ma) règle consiste en ce que l’initiateur lance le défi directement à deux personnes de préférence impliquées dans la gestion des revenus pétroliers à se verser un seau de pétrole sur la tête. Pour commencer, je lance le défi à nos deux bourgeois nationaux : le PR et son PM. En l’adaptant au concept du jeu, à défaut de relever le défi, la personne doit offrir à 5 millions de personnes d’eau potable. Peu importe le nombre, pourvue qu’il y ait d’eau en quantité et qualité aux quelques 10 millions de tchadiens.

Allez, je vous laisse ma dose de challenge pour la journée, le mois ou quelques années (choisissez la proposition que vous préférez).

J’me tire

 


Un jour de fête, un jour de paix

 

Crédit: Pixabay
Crédit: Pixabay

 

Chaque jour est une vie, chaque vie est une chance, chaque chance est un bonheur et chaque bonheur est une fête. En ce jour marquant la fin du mois de ramadan, près d’1, 6 milliard de fidèles musulmans dans le monde célèbrent la fête de l’Aid el Fitr dite fête de ramadan. Profitant de cette occasion, toutes mes félicitations et mes vœux les meilleurs à ceux-là qui se sont abstenus de boire et de manger durant ce mois. Que la paix soit effective sur cette terre et que tous les Hommes appartenant à toutes confessions confondues apprennent à vivre ensemble, en privilégiant le dialogue pour la paix dans le monde.

Je souhaite bonne fête à tous sans oublier ceux qui se trouvent en prison, dans les hôpitaux. Ceux issus des familles polygames comme moi  vont trouver lors de cette fête la joie familiale, la convivialité fraternelle, le partage et le bonheur, loin des rivalités et autres jalousies quotidiennes. En ce jour, mes pensées vont aux familles endeuillées dans le crash du vol AH5017 d’Air Algérie, dans celui abattu par un missile en Ukraine, aux enfants de la bande de Gaza, que ça soit un jour de paix et de justice pour eux.

La planète tourne à l’envers, ça me fait peur. En ce moment de festivités alors que j’écris ces lignes, les lois sont devenues muettes au milieu des armes : des fillettes sont enlevées et violées, des enfants sont massacrés, des avions sont abattus. Que ce jour soit un jour de paix pour Israël et la Palestine. Je revois sans cesse les victimes civiles. Je suis révolté par les atrocités commises sous le regard complice de l’ONU, l’UE… Le monde ne sera pas seulement détruit par ceux qui font le mal, mais aussi par ceux qui les regardent sans rien faire.

Je rêve aussi d’un jour de paix pour mon continent endeuillé par des spectacles désolants : des villes anéanties, des villages réduits en cendre, des mosquées et églises incendiées. Ma pensée va vers les civiles en RCA, en Libye en RDC… les enfants somaliens, soudanais, tchadiens, les fillettes du Nigeria.

Que ce  jour apporte la paix à tous ceux qui sont victimes d’injustice dans le monde. Que l’amour gagne contre la haine, la paix contre l’hostilité. Un jour de paix pour nos mères,  nos enfants. Un jour sans pleurs, sans haine, sans peur, sans peine.

Sur ce, je vous souhaite bonne fête à tous avec  ‘Un jour de paix’  du groupe de rap français 113.

J’me tire.


Le self ramadan chez les étudiants

Ramadan  Crédit: commons.wikimedia.org
Ramadan
Crédit: commons.wikimedia.org

Le ramadan, ça se passe comment chez vous ? Sans doute un mois avec sa dimension religieuse et communautaire : moment de communion, de solidarité, de réjouissances nocturnes où les privations du jour cèdent la place aux libations de la nuit.

Jeûner au cours du mois de ramadan, c’est au sens général s’abstenir de boire, de manger de fumer ou de faire l’amour du lever du soleil jusqu’à son coucher durant ce neuvième mois du calendrier musulman.

Cependant, c’est aussi un temps de partage, de générosité et de joie familiale. Communion avec autrui, confrontation avec soi-même, la vertu de solidarité est mise en l’honneur à travers les usages de la générosité et d’hospitalité.

Que les musulmans jeûnent par piété, par volonté de se mesurer à soi-même, ou par unité culturelle les raisons sont diverses.

A Tunis, en gros ce n’est pas très différent de ce qu’on peut observer au Caire, Dakar, ou Kaboul : restaurants fermés et moins de circulation le jour. Mais aussi consommation de masse, la grande bouffe le soir, bref l’ambiance conviviale en famille.

Mais quand est-il si on vit seul, loin de sa famille ? J’ai rencontré des étudiants qui m’ont parlé du ramadan loin des siens. Quand on est jeune,  vivant loin de sa famille avec des gens qui ne comprennent pas pourquoi s’abstient-on en cette période de chaleur de manger et de boire, ça donne ce que j’ai appelé le self Ramadan (c’est-à-dire un ramadan de choix personnel indépendamment des principes du mois sacré.)

1-    Oumarou : un étudiant Malien, a décidé de jeûner pendant les 10 premiers jours du ramadan uniquement. Il m’explique que ça copine vient de débarquer chez lui pour quelques jours, et  donc logiquement il est impossible pour lui de se priver de certaines choses vu quelle en est pour deux semaines seulement.

2-    Fatou : étudiante Ivoirienne ; aussi ma voisine coiffeuse me dit qu’elle jeûne deux semaines pendant le ramadan, jamais plus. Elle m’explique par le fait qu’elle vient d’une famille catholique du côté maternel et musulmane de son père. Donc elle fait fifty-fifty. Sacrée ivoirienne !

3-    Abdallahi : étudiant Mauritanien, n’est pas seulement approximativement mon homonyme  mais aussi mon ami,  compagnon de chicha. Il m’explique que le ramadan c’est les dix derniers jours. Selon lui, c’est durant les dix derniers jours qu’il y a la nuit du destin. Cette nuit qui selon la tradition musulmane vaut Mille mois, et où les vœux sont souvent exaucés.

4-    Enfin, Latifa une compatriote Tchadienne ; elle aussi ne jeûne que les dix derniers jours. Elle m’informe qu’elle rentre au Tchad dans deux jours et jure qu’arrivée là-bas, elle sera obligée de jeûner le restant du mois.  Donc  pour le moment elle profite de ses journées et que même en flagrant délit, enfin de bouffe, elle trouvera bien une excuse féminine.

Le mérite en est auprès du tout puissant d’en juger le choix de tout un chacun.

 


«Welcome to New York», un film avant tout

La fonction de l’art n’est-elle pas de nous proposer une version inédite de la vie. Quitte à choquer, quitte à blesser, quitte à en tronquer des aspects véritables. Welcome to New york, le film d’Abel Ferrara, porté par Gérard Depardieu et Jacqueline Bisset, est un long métrage, librement inspiré de l’affaire DSK. Selon le producteur du film Vincent Maraval, 48 000 séances du film ont été vendues en VOD dimanche 18 mai 2014, dès le lendemain de sa mise en ligne. Difficile de jauger la valeur de cette information, le choix de diffuser le film directement en VOD restant inédit. Les médias relayent depuis plusieurs semaines déjà la sortie du film d’Abel Ferrara. Comme prévu, sa projection à Cannes, samedi soir en marge de la compétition officielle, a largement alimenté les discussions.

Au poker, quand on n’a rien dans son jeu, on bluffe. C’est exactement ce qui s’est passé avec Welcome to New York. Depuis plusieurs semaines, ce brûlot ferait en coulisse l’objet de pressions insupportables de la part de l’entourage de l’ex-patron du FMI (Fonds monétaire international) déchu de ses mandats après l’accusation de viol de Nafissatou Diallo, femme de chambre du Sofitel à New York. D’abord je vois le projet du film difficilement réalisable. Chercher des financements avec un sujet (l’affaire DSK), l’argent n’a pas coulé de source, les chaînes se sont pincé le nez en se disant qu’elles auraient bien du mal à diffuser un soft-porn vaguement arty criblé de procédures de justice pour diffamation et atteinte à la vie privée.

Du commentaire banal au jeu de mots graveleux, les spectateurs de Welcome to New York s’en donnent à cœur joie.

   

Le film est violemment critiqué par les médias français qui  le jugent  « malsain « ,  Nicolas Bedos lâche tout simplement : «  Welcome to New York, c’est le film le plus con de l’année ! La forme ? Pauvre, moche, plate, lente. Un film sur le cul qui ne fait jamais bander. «  Je pense que ce n’est pas le film qui est dégueulasse, mais bien le comportement de DSK, tout le monde l’aura bien compris. On ne fait pas forcément un bon film avec un bon sujet, c’est vrai. Mais je dirais qu’il faut voir le film comme un ‘objet film ‘. Il semble  échapper que ce film n’est ni un documentaire ni une enquête journalistique…


Il faut pas regarder ce film comme s’il s’agissait d’un reportage.  Et je pense que c’est là est la vrai intention du réalisateur: surfer sur le goût des gens pour aller voir du sordide et en quelque sorte, leur donner en pâture quelques figures d’une société occidentale. L’ambiance lourde et nauséabonde du film est tout simplement celle qui ressort de cette affaire

PS : merci de ne pas lire dans mes propos une quelconque défense de DSK.


Du racisme ordinaire

Crédit: Wikipédia
Crédit : Wikipédia

Ce sont des histoires d’une injustice criante, et qui pourtant sont monnaie courante. Que ces jeunes femmes et hommes laissant leur famille très loin à la recherche du savoir subissent une discrimination indescriptible. Que ces étudiants soient otages, opprimés, humiliés, torturés, déshumanisés. Qu’ils connaissent une solitude profonde, un traumatisme, une blessure laissant des séquelles irréversibles… Oui, qu’ils aient connu une tempête dévastatrice, un ouragan infernal. Mais sous cette couche de braise, sous ce tas de décombres, une flamme brûle, un esprit demeure pour exprimer son ras-le-bol.

 

Que ça arrive parfois de se retrouver au mauvais endroit au mauvais moment. Hier après-midi, je me suis retrouvé par hasard à Ariana, un quartier pauvre de la banlieue de  Tunis. Il  se situe au milieu d’une vaste plaine bordée par les plages de Raoued et de Gammarth, par la ville de Carthage et par la colline de Sidi Bou Saïd. J’ai fait la visite de tout le quartier et j’ai eu mal au cœur. Il y régnait une atmosphère lugubre. En cet après-midi, le quartier est bondé de monde.Je dois affronter les regards de ces jeunes qui ne peuvent s’empêcher de fixer ma petite tête de black et les petits commentaires qui vont avec. Ça craint des chômeurs, délinquants, mendiants…  Mais là, je ne sais pas. Je me sentais bien, j’étais confiant. Quand je suis arrivé derrière la mosquée un homme a surgi de nulle part, et m’a attrapé par-derrière, finalement, plus de peur que de mal. C’était juste un mendiant. Il quémande une pitance. Je lui tends une pièce de deux dinars que je sors du fond de ma poche. Je m’attendais ensuite à un warhem waildeik (que Dieu bénisse tes parents) comme c’est l’habitude ici. Sauf que j’ai eu droit à un guéra.

Je me posais des questions comme vous aussi sur ce mot étrange. J’ai pris le chemin de la maison, un peu à la bourre, mais sur mes gardes, juste un peu moins que d’habitude. Après consultation, j’ai appris que guéra  dans le langage populaire tunisien veut dire : singe. Voilà comment à la place d’une bénédiction, j’ai reçu une moquerie, une insulte raciste. Il faut préciser que mes amis m’ont appris très tôt à être prudent, voire méfiant, m’expliquant sur quel danger je pouvais tomber dans certains quartiers. De nombreux faits et propos, ancrés dans la culture tunisienne, témoignent d’une véritable discrimination à l’encontre des Subsahariens, principalement étudiants. Ces agissements proviennent le plus souvent d’une forte méconnaissance et de préjugés véhiculés par les médias. Tout y passe. Changements de place de métro lorsqu’un  Subsaharien s’assoit à côté d’eux, refus de tenir la même barre qu’un Noir dans le bus, versement d’un seau d’eau depuis un immeuble lorsque l’un d’eux passe dans la rue, jets de pierres… Plusieurs amis m’avaient décrit les mêmes faits. Il suffit de recenser les attributs peu sympathiques dont sont affublés ces étudiants  pour prendre conscience du malaise. Obstacles administratifs, persécutions, brutalités, interpellations musclées et disproportionnées, discriminations, racisme ambiant…la liste des maux dont sont victimes les étudiants  est longue et insupportable.

Autant vous dire, voilà comment j’ai reçu mon premier guéra. Mais ce qui m’attriste, c’est que ce n’est pas la première fois que je vis un truc pareil, et que ce ne sera sûrement pas la dernière. Dans mon entourage, j’entends chaque semaine une nouvelle histoire semblable.

Finalement, y a rien d’extraordinaire, rien de nouveau, rien de surprenant à tout ça. Ça ne m’étonne pas, ça n’étonne pas grand monde d’ailleurs, et ça fait partie des galères du quotidien, et c’est bien ce qui me donne l’amertume.

J’en ai ma claque que notre existence soit ponctuée d’évènements de ce genre en ce siècle. J’en ai marre de me méfier, j’en ai marre de répondre “ouais, on fait avec”, j’en ai marre de devoir marcher avec de la musique à fond dans les oreilles pour éviter d’entendre les remarques de tous ces gens qui ouvrent leur gueule quand je marche dans la rue.

Ça me gonfle

J’me tire.